Allogène est un nouvel ensemble de musique contemporaine montréalais qui se démarque par son intensité. Dans une salle de répétition à l’Université McGill, Isak Goldschneider d'Innovations en concert rencontre le pianiste d’Allogène, Daniel Áñez.
Décrivez vos influences musicales, et le son que vous tentez de développer comme artiste?
La musique latino-américaine qui m’influence le plus est très directe ; elle est d’une grande et belle simplicité. Certaines pièces comptent seulement une note, par exemple, et sont d’un minimalisme qui se distingue par son austérité. C’est comme de la « musique pauvre » – les Italiens ont l’arte povera et nous avons aussi quelque chose de très pauvre, mais idéologiquement lucide. Avec la musique et la programmation, j’essaie de faire comprendre que la musique est en partie déracinée dans la société. La musique contemporaine peut sembler élitiste. Cependant, je crois que nous pouvons aller au-delà de cela, et créer une véritable communication autour de problèmes sociaux à partir d’une perspective musicale, libre de dogmes et de propagande. La musique joue un rôle important dans la société aujourd’hui.
Vous jouez Piano Mechanics de Gordon Monahan pour Innovations en concert en septembre. Comment en êtes-vous venu à cette œuvre ?
J’ai entendu Gordon Monahan pour la première fois en Uruguay l’année passée. C’était très étrange… je cherchais du répertoire et j’ai pris conseil auprès de mon amie et professeure, la compositrice Graciela Paraskevaidis. La création de Gordon Monahan figurait dans la liste qu’elle m’a envoyée. J’étais intrigué : qui était Gordon Monahan ? J’ai trouvé qu’il œuvre en installation sonore, en art sonore et en performance. J’ai adoré, et après avoir conservé une partition tirée de son site Web sur mon bureau pendant longtemps, Cassandra Miller, directrice d’Innovations en concert, m’a invité à jouer du répertoire canadien. J’ai ainsi trouvé l’occasion idéale de jouer la pièce.
Je trouve intéressant que l’œuvre de Monahan s’inscrive dans les influences de l’art sonore et de l’installation. Trouvez-vous un lien entre ces médias et Piano Mechanics ?
Non, je ne vois pas la pièce comme une installation. Je la décris comme neuf études où il tente d’extraire divers sons brutes du piano en tant que machine, objet sans instructions. Il adopte une variété d’approches au clavier, au piano : notes répétées, amortissement, etc. C’est dans la durée que la pièce ressemble à l’installation. Par exemple, je répète une note pendant très longtemps – disons deux minutes. La magie de la note se dévoile lorsque l’auditorium s’emplit de la résonance de celle-ci. En quelque sorte, le son devient objet. La musique de la pièce n’est pas un discours ou un récit qui se déploie – non ; les objets dans la musique sont presque physiques. Ils résonnent, ils peuvent être observés sous différents angles. En ce sens, il n’y a pas de développement.
Il y a un certain aspect cru dans le travail ?
Absolument. C’est brutal. Et très simple – vous pourriez sans doute lire la partition à vue.
Parlez-nous de l’ensemble Allogène, le groupe avec qui vous jouez à Innovations en concert.
Le travail d’Allogène est à la fois très original et très sincère, et se base sur l’expérimentation plutôt que la sensibilisation à la musique radicale. Libre de paramètres commerciaux, la recherche de l’ensemble se nourrit vraiment de jeu, d’improvisation, de transgression de limites. Émilie Girard-Charest, qui travaille le plus pour l’ensemble, compose et improvise. Nous allons jouer une de ses pièces à Innovations en concert. Elle a une relation très ouverte à la musique et c’est une excellente improvisatrice. D’ailleurs, nous explorerons l’improvisation davantage à l’avenir.
Je ne peux m’empêcher de vous poser une question sur l’improvisation. Je perçois une certaine division entre improvisateurs et interprètes de musique composée en Amérique du Nord et en Europe. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces deux champs et à l’interaction entre eux dans le contexte actuel du concert ?
Je sens aussi la division. Selon moi, Émilie Girard-Charest se trouve directement dans le milieu et c’est une occasion pour Allogène de réunir les deux mondes. Nous avons tous quelque chose à apprendre de l’autre – toutes les musiques doivent apprendre l’une de l’autre. Les compositeurs contemporains à Montréal devraient écouter l’excellente musique pop et rock d’ici, et profiter des festivals africains et du Moyen-Orient qui se tiennent en ville. Le musicien doit écouter et connaître son environnement sonore. Pour ce qui en est la musique composée et improvisée, nous les conjuguons. Allogène a joué deux ou trois fois à l’Envers, une des salles les plus importantes pour la musique improvisée à Montréal. Je pense que nous serons la génération qui réunira vraiment les deux approches.
Merci beaucoup, Daniel Áñez, pour cet échange.
- Isak Goldschneider, le 5 septembre, 2011, Montréal
assister au concert de Ensemble Allogène
à Innovations en concert, lun, 26 sept 2011