Christopher Butterfield vient tout juste de finir d’animer la série annuelle d’ateliers pour compositeurs de l’Aventa Ensemble (en compagnie de Michael Finnissy, cette année) à l’Université de Victoria. Il se remet d’une grosse semaine et se prépare à mettre le cap sur Montréal, où il interprètera l’Ursonate de Kurt Schwitters et quelques-unes de ses propres œuvres, dans le cadre d’Innovations en concert. Entretien avec Isak Goldschneider d'Innovations en concert.
J’aimerais commencer en vous demandant quelle relation vous entretenez avec l’Ursonate.
J’ai découvert Schwitters alors que j’étais encore aux études (probablement au début des années 70). Je m’intéressais alors à la poésie sonore, particulièrement à ce qui était sorti de Zurich – Dada – en 1916 et que quelques personnes avaient fait perdurer. Cela dit, Schwitters a commencé à faire de la poésie sonore au début des années 20, et il a créé cette œuvre gigantesque, cette sonate, puisqu’elle adopte parfaitement la forme de la sonate; elle en respecte les règles. J’avais été chanteur et je m’intéressais à cet univers, à ce genre de choses. Je l’ai donc apprise. Je crois l’avoir interprété en concert pour la première fois en 1976 et je n’ai jamais arrêté depuis, avec plus ou moins de régularité. Cela fait quelques années que je ne l’ai pas chantée sur scène, mais c’est encore ce que je ressors dans les fêtes bien arrosées.
Schwitters et le mouvement dada en général ont-ils eu une influence sur vos propres œuvres?
C’est étrange : dès que notre nom devient associé à un certain groupe ou dès qu’on s’intéresse à ce groupe, les gens commencent à nous percevoir à travers celui-ci. Je me suis intéressé à la période entourant l’émergence de Dada et à tous ces artistes tombés dans l’oubli – et je parle ici spécifiquement de Zurich : Hugo Ball, Richard Hülsenbeck, Marcel Janco, Emmy Hennings et d’autres de cette trempe. Personne venant de cet univers n’est connu largement, outre Tristan Tzara, le Roumain qui s’est exilé à Paris. C’était un vrai « showman » : il a organisé plusieurs performances, il a écrit beaucoup; il savait s’autopromouvoir.
Quant à l’influence de tout cela sur ma musique, je crois que quiconque s’aventure sous la surface de mes œuvres comprendra que je suis un être de structure et de règles. J’ai donc bien peu en commun avec Dada. Si nous partageons une chose, c’est une volonté de mettre en branle des choses sans être certain de ce que ça donnera. Je crois que Dada s’est intéressé à cette approche. La spéculation, l’expérimentation – bien des résultats auxquels nous arrivons sont dus au hasard, mais, comme on dit, le hasard favorise l’esprit préparé à ce qu’il se manifeste. Il est très rare que les choses se produisent complètement par hasard, surtout dans les arts. Généralement, on a pipé les dés, on a préparé ce hasard d’une manière qui se veut productive et élégante, afin d’obtenir le résultat souhaité. Si je partage quelque chose avec Dada, ce serait cela. Par contre, je ne cherche pas à choquer. Les dadaïstes originaux cherchaient particulièrement à choquer les bourgeois de Zurich pendant la Première Guerre mondiale. Bien que je ne fasse pas dans la musique légère, j’aime l’idée du jeu et j’aime faire des trucs qui portent plus qu’une simple proposition musicale sérieuse.
À Montréal, vous interpréterez aussi quelques-unes de vos propres compositions, dont l’une s’intitule Dark Set, si je ne m’abuse.
C’est exact. Il s’agit d’une vieille pièce qui remonte à 1978, un petit numéro de performance musicale. Je chante au son d’un enregistrement de ma voix sur cassette et j’interagis avec cet enregistrement. Le texte explique comment pêcher le flétan. J’ai passé un été comme matelot de pont sur un bateau de pêche au flétan, sur la côte ouest, et j’en ai tiré cette pièce. Étrangement, le titre ne fait pas du tout référence à la pêche au flétan, mais plutôt à la pêche au saumon. Vous voyez, à l’origine, notre bateau avait été conçu pour cette dernière; nous l’avions converti. Et lorsqu’on sort les filets maillants à divers moments de la journée, c’est un « set ». Le matin, on a le « dawn set », puis le midi c’est le « midday set », et en soirée c’est le « dark set ». J’ai donc combiné pêche au saumon et pêche au flétan.
…et vous interpréterez trois autres courtes pièces de votre crû.
Ces pièces ont été composées pour être chantées et jouées par une même personne. C’est rigolo : je les ai écrites en 2002,mais je les ai présentées une seule fois, à Bratislava en Slovaquie, devant un auditoire qui n’entendait pas l’anglais et qui n’y a rien compris. Elles utilisent trois textes que j’ai trouvés. L’un provient de l’auteure américaine Ruth Ozeki, qui a écrit un très bon livre sur les habitudes carnivores des Américains. Un second consiste en une citation tirée d’une entrevue avec une Terre-Neuvienne qui manifestait à la réunion de l’OMC à Québec, il y a au moins une dizaine d’années. Elle parle de ses expériences de militante. Le troisième texte est tiré d’un feuillet que les Américains ont fait tombé en Afghanistan, par avion, en octobre 2001, pour ordonner aux Talibans de se rendre, parce que les Américains étaient plus forts, meilleurs, mieux informés, mieux entraînés au tir, et qu’ils seraient tout aussi bien de déposer les armes.
La première chanson s’intitule Song about Ignorance (« Chanson sur l’ignorance »); la seconde, Political Song (« Chanson politique »); et la troisième, American Song (« Chanson américaine »). Le plus drôle dans ces trois textes, c’est que les Anglais n’ont rien appris, les Russes n’ont rien appris et les Américains continuent de ne rien apprendre, ce qui ne les arrête pas. Hier, j’ai croisé une amie à moi, une vieille dame, à l’université et je l’ai invité à venir entendre ces chansons. Ça lui a beaucoup plu. J’espère que votre auditoire sera du même avis!
- Isak Goldschneider, le 18 september, 2011
assister au concert de Christopher Butterfield (avec Kaie Kellough et Jason Sharp)
à Innovations en concert, mar, 27 sept 2011, 20 h
assister à la conférence de Christopher Butterfield
à Innovations en concert, mar, 27 sept 2011, 13 h 30