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entretien

avec Robin Hayward (Zinc + Copper Works)

photo by Sam Muirhead, cropped and tinted by Innovations

Le tubiste, compositeur et improvisateur Robin Hayward a conçu en 2009 le premier tuba entièrement microtonal. L’artiste berlinois apportera cet instrument avec lui à Montréal, pour y interpréter sa composition Grave Mountain Diagram avec son trio de cuivres microtonaux Zinc & Copper Works. Isak Goldschneider d’Innovations en concert a discuté de ce concert avec lui.

Comment décririez-vous la relation entre improvisation et composition dans votre travail? 

Elle est variable. J’ai fait des pièces composées de A à Z et d’autres sans aucune note qu’on pourrait qualifier d’improvisées. Cela dit, plus récemment, j’ai fait des pièces où j’intègre réellement les deux, pour la première fois je crois. Ces dernières années, j’ai été à la recherche d’un moyen pour inclure la spontanéité à la logique qui sous-tend mes œuvres. Par exemple, l’an dernier, j’ai écrit une pièce pour un groupe dont je fais partie, Reidemeister Move (nous espérons nous produire au Canada l’an prochain), dont la logique exige la prise de décisions en temps réel. Je m’intéresse à quelque chose qui comporte des règles claires quant à la décision de jouer telle ou telle note et du moment où la jouer, mais ces décisions sont intégrées au vocabulaire musical.

musical score

C’est comme un jeu de société où le coup d’un joueur peut dépendre du coup d’un autre et vice-versa, les coups de chacun étant régis par les règles du jeu. Cela dit, la pièce que nous jouerons au Canada [le 12 décembre], Grave Mountain Diagram, est composée du début à la fin.

Si je comprends bien, cette pièce s’inspire des travaux de Jan van Gorp, un linguiste brabançon du XVIe siècle. Il semble avoir été un personnage assez excentrique, dont les idées ont participé à la création de la linguistique historique moderne. À quoi fait référence le titre Grave Mountain Diagram?

Grave Mountain Diagram reprend deux mots que van Gorp plaçait à la base de toute langue humaine. En passant, je ne crois pas qu’il se serait lui-même qualifié d’excentrique. Après tout, il était le physicien du prince d’Anvers et il s’est retiré de la vie sociale pour se consacrer à ses recherches [selon la théorie de van Gorp, aussi connu sous le nom de Johannes Goropius Becanus, le flamand anversois était la langue originelle utilisée au Paradis]. Même à l’époque, il n’était pas universellement ridiculisé. Dans l’introduction du tout premier dictionnaire néerlandais, publié à la fin du XVIe siècle, on note que, maintenant que Goropius Becanus a établi le statut de langue originelle du néerlandais, il devient d’autant plus primordial de préserver cette langue.

C’est la rationalité de sa tentative qui m’a attiré. Bien que ses prémisses soient fausses, il suffit d’en accepter une ou deux pour que tout l’édifice soit sensé. Il prétendait que la toute première langue parlée au Paradis entre Dieu et Adam devait être la plus simple; par conséquent, cette langue devait être constituée uniquement de mots monosyllabiques. Puis, il a remarqué que son dialecte flamand comportait un ratio plus élevé de ces mots que le grec ou le latin. Il en a conclu que ces deux langues étaient postérieures au flamand et qu’il pouvait déduire quels auraient pu être les mots originels.

Pour en revenir au titre Grave Mountain Diagram [Diagramme de la montagne grave] : parmi les mots que van Gorp croyait appartenir à la langue originelle, on trouve graab [grave]. Il croyait aussi que les mots palindromes renversaient leur sens sémantique. Ainsi, baarg [montagne] était une syllabe originelle et s’opposait à graab. Il a dressé une liste de ces syllabes originelles et de leurs contraires, comme stur [troubler] et rust [reposer]. Ces concepts m’apparaissent très mélodiques, parce qu’ils portent sur des éléments structuraux. Donc, les concepts structuraux dont je me suis inspiré découlent du concept qu’à chaque mot est associée une syllabe originelle. Ainsi, dans la pièce, de courtes formes structurelles passent d’un interprète à l’autre, comme un hoquet, pour produire des « mots ». En plus, j’utilise treize « syllabes originelles ». Pourquoi treize? Parce que j’étais à la recherche de nombres premiers : la pièce comporte sept sections et chacune se fonde sur un nombre premier. Simultanément, les interprètes imitent le son de ces syllabes, sans jamais les vocaliser; nous utilisons plutôt nos instruments comme s’il s’agissait de voix, en utilisant divers sons de cuivres pour reproduire voyelles et consonnes. 

Zinc & Copper Works est un trio de cuivres microtonaux et vous jouez des instruments fabriqués expressément à cet effet. Cela influence-t-il la manière dont les structures dont vous avez parlé s’expriment dans Grave Mountain Diagram?

Pas vraiment, puisque j’ai écrit cette pièce en 2008, alors que nous n’avons pas eu les instruments entièrement microtonaux avant 2009. De toute manière, nous explorions déjà les microtonalités avec des instruments traditionnels, ainsi que le bruitisme et d’autres éléments – ce n’est pas uniquement une pièce sur la microtonalité.

Ces recherches techniques sont donc issues d’un besoin conceptuel.

Parfaitement.

- Isak Goldschneider, novembre 2011

assister aux séances Robin Hayward à Innovations en concert,
ven & sam, 9 & 10 déc 2011

assister au concert de Zinc + Copper Works (avec Quatuor Bozzini)
à Innovations en concert, lun, 12 déc 2011