en conversation avec Daniel Áñez et Geneviève Liboiron (ensemble Wapiti)
Ce samedi 12 octobre, l'ensemble Wapiti nous présente l'œuvre "For John Cage" de Morton Feldman, pour piano et violon, dans un spectacle intime à la Chapelle historique du Bon-Pasteur. Daniel Áñez et Geneviève Liboiron, les deux talentueux et charmants membres de l'ensemble, m'ont chaleureusement accueilli chez eux afin de discuter de leur approche envers cette pièce.
Geneviève: Notre premier concert en tant qu'ensemble recule à il y a sept mois au Musée national de Colombie à Bogota, où on a joué l'œuvre de Feldman qu'on va jouer pour Innovations en Concert.
Daniel: C'est une pièce qui dure une heure et dix minutes, alors on a douté la faire…
Geneviève: ...dire qu'on a commencé par le monstre, déjà. C’est pas une œuvre qui se lit à la première vue, parce que les rythmes sont trop complexes. C'est quelque chose qu'on a calculé, en s'assoyant plusieurs soirs de suite pour comprendre et déchiffrer quand les choses se passent. Surtout Daniel, y'est vraiment bon là dedans, à calculer chaque intervention. Ça ne se joue pas à peu près; ça a été un long apprentissage.
Alors, est-ce que c'est juste de dire que vous approchez cette musique de façon, disons, précise?
Daniel: On essaie de la jouer de la façon la plus précise possible. En fait, je pense qu'il y a deux approches : de la lire librement et celle que je pense qu'on a faite, qui est de la lire de la façon la plus stricte possible. On a passé un mois au complet à dire, bon, où va cette note par rapport à la croche ou à la noire...
Geneviève: …trouver toujours le plus petit dénominateur commun du temps pour voir après ça, qui arrive en premier dans le temps.
Daniel: Mais, il y a une contradiction dans ça. Les rythmes, poussés presque à l'absurde dans la façon qu'ils sont écrits, ont été choisis précisément pour éviter la sensation de tempo, de verticalité. Il [Feldman] voulait absolument ne pas sentir ça. Il y a une recherche de liberté, mais en mettant un cadre super fort. J'ai un ami en Colombie, sa plainte était qu'il ne pouvait pas suivre - par contre, la musique ne change jamais de tempo…
Geneviève: …jamais.
C'est clair que c'est une œuvre qui brise un peu les conventions ainsi que les attentes du public. Quel rôle, ou place, croyez vous que cette œuvre occupe dans la société?
Daniel: Il y a eu beaucoup de débats sur « sortir l'art du musée » et beaucoup de choses comme ça - on parle de l'art qui se passe dans la rue et dans des espaces inconnus. Cette période de Feldman, où il pousse la longueur de ses pièces, je pense que ceci est une façon beaucoup plus sophistiquée de pousser la musique à l'extérieur de son cadre.
-Nicolas Hyatt, octobre 2013